Plateforme
Droits de l’Homme

Parole d’acteur : Marc Ona Essangui

février 2023

Le 10 décembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, Marc Ona Essangui était distingué citoyen d’honneur de la Ville de Lyon aux côtés de quatre autres défenseurs et défenseuses des droits humains et de l’environnement. Retour sur la vie de cet activiste gabonais qui, au cours de son parcours militant, a été confronté aux conséquences d’un phénomène croissant : le rétrécissement de l’espace civique dans son pays comme dans le monde.

Au fil des années, en s’attachant à défendre les droits des populations, la protection de l’environnement et à militer en faveur de la transparence dans la gestion de son pays, Marc Ona Essangui est devenu l’une des plus grandes voix critiques contre le pouvoir dynastique gabonais, en place depuis 1967. Sa carrière au sein des associations et organisations non gouvernementales de défense des droits humains est édifiante : fondateur de Brainforest, organisation travaillant sur la gestion durable et équitable des ressources naturelles du Gabon, président de Tournons La Page, mouvement de promotion de l’alternance démocratique, mais il est également ancien coordinateur de la coalition Publiez Ce Que Vous Payez du Gabon, œuvrant pour une industrie extractive transparente. Son engagement poursuit un seul et ultime objectif : « fuir les corporatismes au profit des combats citoyens ».

L’activiste, récompensé en 2009 par le prix Goldman pour l’environnement, doit pourtant faire face depuis des années au phénomène de rétrécissement de l’espace civique mis en œuvre par les autorités du Gabon. Cette situation s’est entre autres matérialisée par des représailles à son égard et en particulier par une condamnation pénale, en mars 2013, pour avoir critiqué Liban Soleman, chef de cabinet du président Ali Bongo Ondimba et alors propriétaire de la filiale gabonaise de la société Olam, principalement spécialisée dans le secteur de l’huile de palme. Marc Ona Essangui a été condamné à six mois de prison avec sursis, ainsi qu’à une amende de cinq millions de francs CFA (environ 7 600€) pour diffamation. Il s’avère que la société Olam, qui affichait pourtant une volonté de développer son activité de manière durable, est en réalité responsable d’une déforestation massive des forêts du pays pour l’élargissement de ses cultures.

En réaction à ces dégâts infligés aux ressources naturelles, les communautés locales, qui avaient pourtant récoltés des milliers de signatures grâce à leurs pétitions et le soutien de plusieurs organisations internationales, ont vu leur action être muselée par l’influence qu’Olam et le gouvernement ont exercé sur certains médias pour atténuer le retentissement de l’affaire.
Comme le souligne Reporters Sans Frontières dans son rapport sur le Gabon : « La culture d’une presse libre et indépendante peine à s’établir, y compris en ligne. L’influence du régime s’exerce à tous les niveaux et contribue à l’autocensure. Le secteur audiovisuel est dominé par les médias d’État, et la presse en ligne est noyautée par des médias créés par des proches du palais présidentiel et utilisés contre ceux qui ne s’alignent pas sur le régime. La Haute Autorité de la communication (HAC), organe de régulation des médias, manque cruellement d’indépendance. »

La condamnation de Marc Ona Essangui a été dénoncée par plusieurs ONG qui ont assimilé cet acte à une tentative de la présidence de la République gabonaise d’empêcher la mobilisation du peuple gabonais contre le projet Olam.

Cette condamnation n’est toutefois pas la seule menace à laquelle Marc Ona Essangui a dû faire face. Les autorités du Gabon usent régulièrement de leurs moyens pour empêcher les défenseurs et les défenseuses de droits d’effectuer le travail de vigie citoyenne. En 2008, les autorités gabonaises l’ont ainsi empêché d’effectuer un voyage aux les États-Unis où il était attendu sur invitation de l’ONG Revenue Watch Institute. Quelques mois plus tard, pour avoir dénoncé le contrat passé entre le gouvernement gabonais et une compagnie chinoise pour l’exploitation du gisement de fer de Belinga, sous le fallacieux prétexte de détention d’un document subversif, Marc Ona et plusieurs autres acteurs majeurs de la société civile, sont arrêtés, gardés à vue pendant cinq jours avant de se voir décerner un mandat de dépôt, le 28 décembre 2008. Il passera 5 jours en prison et sera libéré sous la pression de la communauté internationale. En 2019, il est confronté à d’importants délais dans les démarches de renouvellement de son passeport l’obligeant à décommander plusieurs événements internationaux relatifs aux droits humains et aux enjeux environnementaux. Cette période coïncide avec son action menée pour le lancement de la campagne « Touche pas à ma terre » redoutée par le régime en place.

Plus généralement, les atteintes à l’espace civique de gabonais se matérialisent régulièrement par la mise à mal de la liberté d’informer et d’être informé. En août 2016, alors que le président Ali Bongo Ondimba vient d’être réélu de manière controversée et non reconnue par l’opposition, les observateurs internationaux ayant suspecté des trucages, des manifestations post-électorales s’organisent dans le pays. Le régime répond par une violente répression faisant au moins 18 morts selon l’AFD. Des milliers de personnes seront également arrêtées. Afin de limiter le retentissement de ces événements, le gouvernement gabonais avait alors décidé de supprimer la connexion internet et une partie des services de téléphonie du pays pendant près d’un mois.

Au Gabon comme ailleurs, les membres des organisations de défense des droits humains sont régulièrement pris pour cibles et assistent à une recrudescence du rétrécissement de leur espace civique. Si les représailles subies par Marc Ona Essangui ne l’ont pour l’heure pas découragé à poursuivre son activisme, il devient pour autant plus que jamais nécessaire que les autorités et les partenaires mettent en œuvre les recommandations établies pour endiguer ce phénomène.

Le nouveau rapport “Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH” est toujours disponible, en cliquant ici.