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[ÉTUDE DE LA FIACAT] La protection collective des défenseur·es des droits humains : une possibilité pour l’Afrique ?

septembre 2023

Quitter l’urgence de la protection pour rejoindre le temps long de la prévention c’est adopter un regard plus complet sur l’environnement de travail des défenseur·es des droits humains afin de mieux les protéger. C’est de ce constat qu’est née cette étude sur la protection collective et son applicabilité en Afrique. Cette étude a été réalisée par la FIACAT en collaboration avec des étudiant·es de Sciences Po Bordeaux et le soutien actif de l’AFCNDH, dans le cadre du projet Initiative pour les défenseur·es des droits humains dans le monde.

L’étude revient sur le concept de protection collective des défenseur·es des droits humains et la complémentarité de cette approche avec les actions plus classiques de protection individuelle. Sur la base d’entretiens avec des acteur·rices de la société civile du Burkina Faso, de Madagascar et du Togo, cette étude pose un regard sur les pratiques actuelles des défenseur·es des droits humains qui pourraient s’apparenter à de la protection collective.

Elle vise à donner les clés aux défenseur·es des droits humains, aux organisations de la société civile et plus généralement à tous les acteurs impliqués dans les enjeux de protection pour mieux comprendre cette approche de la protection et infuser l’idée d’une protection collective dans les débats. À ce titre, en fin de document différentes recommandations sont formulées à l’adresse de divers groupes et institutions. Au-delà des pays du cercle restreint d’intervention du projet d’où sont tirés des exemples de pratiques, cette étude a vocation à circuler dans les 7 autres pays ciblés par le projet, et par-delà.

Cliquez-ici pour lire cette étude.

Parole d’acteur : Germain Rukuki

mai 2023

“J’étais persuadé qu’ils allaient me tuer. Malgré cela, je maintenais un visage serein pour éviter d’insuffler la peur à mon épouse, mes enfants.” C’est par ces mots que Germain RUKUKI, défenseur des droits humains (DDH) originaire du Burundi, se remémore douloureusement l’épisode de son arrestation en juillet 2017.

Germain RUKUKI est reconnu internationalement pour son travail en faveur des droits humains au sein de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) du Burundi, membres du réseau de la Fédération internationale des ACAT, association luttant pour le respect de la dignité humaine, et en particulier pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Il devient bénévole de l’ACAT en 2004 avant d’endevenir le responsable administratif et financier en 2011. Régulièrement, il se rendait dans les lieux de détention du pays pour réaliser un monitoring des violations des droits humains perpétrées dans le milieu carcéral.

En 2015, suite à la réélection pour un troisième mandat du président Pierre NKURUNZIZA, en violation de la constitution nationale et des accords d’Arusha, une vague de manifestations s’empare du Burundi. Débutent alors de multiples actes de persécutions de la part des autorités envers les DDH et les opposants politiques tenus responsables de ces mouvements de contestation. Les DDH et les journalistes sont arrêtés et détenus arbitrairement, et plusieurs organisations de la société civile sont radiées. C’est le cas de l’ACAT Burundi, devenue illégale car, selon le gouvernement, elle “ternissait l’image du pays” en documentant les cas de violation des droits humains. 

C’est dans ce contexte que le 13 juillet 2017, Germain RUKUKI est arrêté par une trentaine de policiers lourdement armés, tôt le matin, à son domicile. Les autorités fouillent l’habitation, et emmènent le militant à son bureau pour perquisitionner son ordinateur et ses dossiers. Il est ensuite transféré au Service national de renseignement (SNR) où il est retenu pendant deux semaines, sans avoir le droit aux visites de ses avocats, violant ainsi ses droits à la défense. Alors même qu’il n’a ni été présenté à un juge, ni été informé des charges pesant contre lui, il est ensuite envoyé à la prison de Ngozi, tristement réputée pour enfermer des prisonniers politiques et pratiquer la torture.

 

 

 

 

Le droit à un procès équitable du DDH, pourtant garanti par l’article 38 de la constitution du Burundi, a délibérément été violé à maintes reprises. En outre, il a été maintenu en détention préventive malgré l’absence d’indices sérieux, n’a pu accéder qu’à quelques pièces de son dossier qui en contenait pourtant 174, a été détenu dans une prison géographiquement éloignée du tribunal en charge de son dossier, et les autorités n’ont pas respecté le délai imposé de huit jours entre la date d’assignation et celle de comparution. L’ensemble de ces agissements ont été commis en violation du Code de Procédure Pénale, ce qui semble être chose courante de la part des autorités burundaises: ”Au Burundi, les droits des personnes détenues sont systématiquement violés et c’est encore pire pour les personnes qui sont en prison pour des raisons politiques” témoigne l’activiste.

C’est finalement une peine sans précédent qui va être prononcée à son égard: le 26 avril 2018 Germain RUKUKI est condamné à 32 ans de prison en dépit de l’absence de preuve. Il s’agit de la sentence la plus lourde jamais prononcée au Burundi à l’égard d’un DDH. Cette peine s’apparente à une tentative délibérée des autorités pour le réduire au silence, et dissuader les autres membres de la société civile de poursuivre leurs actions. C’est avec stupeur que le DDH apprendra la retenue de six chefs d’accusations contre lieu, alors même qu’en août 2017, le procès verbal du premier magistrat l’ayant interrogé l’avait en tout et pour tout accusé de “rébellion” et “d’atteinte à la sûreté de l’Etat”. Désormais, Germain RUKUKI est notamment rendu coupable de participation à “l’assassinat de militaires, civils et policiers”, de participation à un “mouvement insurectionnel”, de “dégradation des édifices publics et privés” ou encore de s’être livré à la planification d’un “attentat contre le chef de l’Etat”.

Le 26 novembre 2018, la Cour d’appel de Ntahangwa est saisie, mais le dossier de Germain RUKUKI disparaît et ne sera retrouvé que six mois plus tard. Le 31 mai 2019, l’audience s’ouvre et les débats reprennent en son absence et celle de ses avocats. Le 17 juillet, la peine prononcée en première instance est confirmée, Germain RUKUKI reste en prison.

À partir de l’année 2020, les événements vont prendre une tournure plus favorable pour le militant qui ne se décourage pas. Quelques semaines seulement après le décès du président Pierre NKURUNZIZA, la Cour de Cassation est saisie et décide du renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel. C’est ainsi que le 21 juin 2021, le verdict tombe et sa peine est réduite à une année de prison et au paiement d’une amende de 5000 francs burundais (environ 20€). Germain RUKUKI est libéré le 30 juin 2021, grâce à la pression exercée par les diplomates. Pourtant innocent, le DDH aura passé quatre ans derrière les barreaux, dans des conditions très difficiles. Alors que la dégradation de son état de santé était alarmante, il a manqué de soins et d’examens adéquats, mettant sa vie en péril. A plusieurs reprises, il a également été sommé de payer des sommes d’argent astronomiques pour avoir le droit d’être dans sa cellule et a fait l’objet de menaces et de persécutions. 

Avant sa condamnation, l’activiste était déjà parvenu à échapper à plusieurs arrestations, à un enlèvement, ainsi qu’à un attentat contre sa personne. Aujourd’hui, le défenseur a trouvé refuge en Belgique avec son épouse et leurs enfants, loin de son pays, le Burundi, où sa sécurité n’est plus garantie.

Désormais, même à plusieurs milliers de kilomètres du Burundi, le militant poursuit ses actions en faveur des droits humains. Il a notamment fondé l’organisation Ensemble pour le soutien des défenseurs des droits humains en danger (ESDDH) qui accompagne les DDH en difficultés, et assure le suivi de la situation des droits humains en général et dans les milieux carcéraux. Il mène un plaidoyer actif auprès des institutions internationales et nationales, des activités de monitoring et des actions conjointes en lien avec la société civile burundaise et les organisations internationales. “Nous espérons que nos multiples actions de plaidoyer finiront, tôt ou tard, par porter leurs fruits” témoigne t-il.

Le parcours de Germain RUKUKI a été périlleux. Malgré tout, il demeure optimiste quant à une possible amélioration de la situation au Burundi, et se dit fier d’avoir “pu contribuer à ce que le monde sache à quel point la justice burundaise est le suppôt du pouvoir exécutif – et, par conséquent, à ce qu’il y ait moins de victimes”, ainsi que des vies qu’il a pu sauver de part son engagement au sein de l’ACAT, en luttant contre les exactions judiciaires.

Parole d’acteur : Bahati Rubango

avril 2023

À l’heure où les discussions en République Démocratique du Congo (RDC) sont en cours devant le Sénat sur la proposition de loi relative à la protection et à la responsabilité du défenseur des droits de l’Homme, il apparaît crucial de revenir sur le combat d’un de ses défenseurs des droits humains (DDH) : Bahati RUBANGO. 

Fervent militant de la première heure, c’est très jeune que Bahati RUBANGO commence à représenter et à défendre les intérêts d’autrui au sein de son école secondaire. Il devient à l’époque doyen des élèves à l’institut Bugarula, une école située en territoire d’Idjwi, dans la province du Sud-Kivu, et collabore avec le parlement des enfants du territoire insulaire.

En 2011, alors que les élections présidentielles doivent se tenir à l’automne, des tensions se font ressentir entre la population locale et les autorités publiques. Joseph KABILA, le président à la tête du pays depuis 2001, ayant succédé à son père, annonce sa candidature. Le 15 janvier, le chef d’Etat procède à une révision constitutionnelle pour que le scrutin se déroule en un tour au lieu de deux. L’opposition dénonce une manigance favorable à sa réélection. Bahati RUBANGO n’est pas encore en âge de voter à cette époque, et pourtant, il va appeler la jeunesse et les étudiants congolais à se mobiliser contre ces élections entachées d’irrégularités. Les contestations dénoncent notamment les manoeuvres de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), dirigée à l’époque par un proche de Joseph KABILA, qui aurait publié de fausses adresses de bureaux de votes, et aurait omis l’inscription de citoyens sur les listes électorales, empêchant une partie des électeurs de participer au vote et favorisant les possibilités de fraudes. Le président sortant est finalement réélu et les tentatives de contestation sont très violemment réprimées par les autorités. 

En 2013, Bahati RUBANGO entame ses études supérieures à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu (ISP-Bukavu) et devient délégué de sa promotion toujours avec l’objectif de défendre les droits de ses camarades. En 2016, il est désigné porte-parole des étudiants par des élections organisées dans l’établissement. 

Il va principalement s’attacher à dénoncer la violation des droits des étudiants, par les autorités académiques, notamment la note circulaire 0-22 interdisant la revue à la hausse des frais académiques dans les établissements publics de la RDC : en contradiction avec ce texte édité par le Ministère national de l’enseignement supérieur et universitaire, les étudiants étaient contraints de payer 60$ de frais académiques supplémentaires. Au cours de cette période, un système d’intimidation avait été établi au point que personne n’osait refuser le paiement des frais, rendus obligatoires, au risque d’être interdits d’étudier. Il  n’était pas aisé d’exiger l’application stricte des textes et des mesures réglementaires dans une institution académique dirigée par un dignitaire de la coalition au pouvoir. En parallèle de ces événements, le débat sur le troisième mandat de l’ancien président Joseph KABILA  monopolisait  la scène nationale et internationale.

Pour avoir appelé les étudiants à manifester pacifiquement, le défenseur est arrêté, le 7 décembre 2017, et passé à tabac. Il reçoit pour la première fois une assistance de la part d’Agir ensemble pour les droits humains (Agir Ensemble) afin de le mettre à l’abri des menaces dont il fait l’objet. Une action en justice est intentée à son égard, les autorités reprochent au militant d’avoir utilisé des mineurs dans la manifestation pacifique. 

Cette période est marquée par l’interdiction de toute contestation et les coupures internet visant à réduire la société civile au silence. Contre toute attente, Bahati RUBANGO est traité aux côtés de ses camarades comme un opposant politique et affilié à des mouvements tels que la Lucha (Lutte pour le changement) et FILIMBI, lesquels étaient perçus comme des véritables ennemis de la coalition du pouvoir. Le DDH fait ainsi l’objet de menaces d’arrestation, d’intimidations et de stigmatisation. Ses camarades sont envoyés à la prison centrale de Bukavu rien que pour avoir exigé pacifiquement le respect du texte. Bahati RUBANGO connaît de terribles problèmes de santé suite à cet épisode au point que sa mort est annoncée sur les réseaux sociaux, alors qu’il était hospitalisé: il garde encore de nombreuses séquelles qui continuent aujourd’hui à lui causer de terribles soucis de santé.

L’activiste acquiert une certaine notoriété parmi les DDH. Les associations de la société civile s’intéressent à son action et lui proposent des formations sur les actions non-violentes et démocratiques. Il va ensuite commencer à travailler pour la CENI pour expliquer aux citoyens le fonctionnement des bureaux de vote puis, le 6 mars 2019, il intègre l’association SOS Information Juridique Multisectorielle (SOS IJM), en tant qu’officier sur la protection des droits humains. L’association a été créée en 2007 dans la sphère universitaire de Bukavu, dans l’objectif de contribuer à la promotion des droits humains et libertés fondamentales, ainsi qu’à leur mise en œuvre effective. L’organisation est un partenaire actif de Agir ensemble.

Au sein de SOS IJM, Bahati RUBANGO travaille sur les réformes, la sécurité et la justice et s’intéresse en particulier aux conditions carcérales dans la province du Sud-Kivu. Il se rend dans les centres de détention, prétextant mener des missions d’apostolat, mais constate et alerte en réalité sur les conditions d’incarcérations déplorables dans les maisons pénitentiaires.

En 2020, la pandémie de Covid-19 n’a pas épargné la RDC. Sous couvert de vouloir limiter la propagation du virus, les autorités mettent en place des mesures restrictives qui ont pour principale conséquence de museler les DDH et de violer leurs droits. Durant cette période, Bahati RUBANGO réalise un important travail de monitoring des violations commises, et se rend dans les médias pour les dénoncer publiquement. Les autorités lui reprochent son action.

À partir de 2021, il devient beaucoup plus compliqué pour les autorités de s’en prendre au défenseur devenu très influent en multipliant les déclarations et les actions de plaidoyer auprès des mécanismes régionaux de protection des droits humains. Le plaidoyer réalisé par le militant entend dénoncer les détournements, par le gouvernement provincial, des fonds alloués aux sinistrés du Sud-Kivu, ainsi que la spoliation des maisons en toute impunité par les autorités provinciales. Bahati RUBANGO utilise les réseaux sociaux et les médias locaux pour maintenir une certaine pression et exiger le respect de la bonne gouvernance. 

Sa persévérance et ses relations avec les instances régionales inquiètent les services du gouvernement provincial qui recrutent des hommes de main pour s’en prendre à lui. Son domicile est cambriolé à plusieurs reprises, une grande partie de ses biens disparaissent. Un soir, alors que Bahati RUBANGO ne rentrait déjà plus la nuit chez lui par crainte pour sa sécurité, des individus l’attendent, mais le confondent avec son jeune frère qui est suivi et battu à mort. Le défenseur était quant à lui réfugié chez des amis ou dans des hôtels. Il percevra une nouvelle assistance d’Agir ensemble pour prendre en charge les soins de santé de son frère. Dans ce contexte, SOS IJM l’affecte finalement à Kinshasa

En reconnaissance de ses actions en faveur des droits humains, Bahati RUBANGO a été récompensé en 2016 par le “prix patriote pour les jeunes” du parlement des jeunes du Sud-Kivu, attribué aux jeunes se démarquant dans la défense des droits humains

Aujourd’hui encore, la situation n’est pas apaisée en RDC, les autorités peuvent faire semblant devant les organisations de la société civile et les mécanismes internationaux de protection, mais elles ne sont en réalité toujours pas favorables au travail des DDH. Bahati RUBANGO ne se dit pas en insécurité, puisqu’il continue de sortir dans la rue et d’intervenir sur les réseaux sociaux et dans les radios, mais il a pour autant conscience de ne pas être le bienvenu de partout. C’est le cas à Goma pour avoir dénoncé les détournements de fonds de la part du gouvernement provincial, au Sud-Kivu et au Rwanda, pour avoir mentionné certains officiers nationaux, auteurs de graves violations du droit international humanitaire, dans un rapport de mapping et la nécessité de créer un Tribunal Pénal International pour le Congo. Il plaide pour la fin de l’impunité qui doit passer par la mise en œuvre effective des mécanismes de justice transitionnelle afin que les bourreaux soient jugés, les victimes accèdent à la vérité et aux réparations adéquates et que les réformes institutionnelles soient finalement engagées, seuls préalables pour le retour de la paix et de la sécurité en RDC.  

Le travail mené par Bahati RUBANGO et l’ensemble des DDH de RDC est crucial au regard de l’actualité de l’année 2023: les prochaines élections présidentielles de la RDC prévues en décembre risquent d’être le théâtre de nouvelles violations, de raviver les tensions dans le pays et les tentatives de fraudes de la part des autorités, la loi portant protection des DDH et encore en cours d’examen par le Sénat et le pays est toujours gangrené par la corruption, les détournements de fonds et le favoritisme au profit de certaines “élites”. L’heure est au changement et au développement individuel, institutionnel et collectif grâce à une lutte sans relâche pour le respect des droits humain d’abord en RDC, en Afrique, et dans le monde.  

Le nouveau rapport “Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH” est toujours disponible, en cliquant ici.

Parole d’actrice : Berta Cáceres

mars 2023

Le 3 mars dernier était une journée teintée d’amertume pour les droits humains. Voilà sept ans jour pour jour que Berta Cáceres, militante écologiste hondurienne, était assassinée pour avoir organisé la résistance du peuple Lenca contre la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Gualcarque. Ce projet, une fois réalisé, aurait inondé des terres et privé des centaines de personnes d’approvisionnement en eau et en nourriture. 

Berta Cáceres s’est engagée très jeune en faveur de la défense des droits humains et de l’environnement. Elle est notamment l’une des fondatrices, en 1993, du Conseil des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), qui s’est érigé en tant que porte voix du peuple indigène Lenca pour la défense de leurs droits. 

Très vite, le combat mené par les militants et militantes de l’association et Berta Cáceres va être entaché par des atteintes à leur espace civique. Ils observent une militarisation de la zone et témoignent avoir été victimes d’arrestations arbitraires récurrentes de la part des forces de police, ainsi que de harcèlement de la part de la sécurité privée de la société Desarrollos Energéticos SA (DESA) en charge de la construction du barrage.

Cette construction s’inscrivait dans le cadre du projet hydroélectrique d’Agua Zarca prévoyant la construction de quatre barrages sur le Rio Gualcarque, initié sans aucune consultation préalable des communautés locales ni recueil de leurs consentements libres et éclairés. 

La défenseuse est régulièrement réprimée lors d’actions menées contre ces chantiers et intimidée par les autorités au point qu’en 2009, elle est inscrite par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme sur la liste des personnes menacées. La Commission ordonnera également la mise en place de mesures de protection à son égard. Il s’avère en réalité que la lauréate du prix Goldman pour l’environnement « n’avait, de fait, reçu aucune protection de l’Etat sous pression de ceux qui défendent le secteur minier et les entreprises hydroélectriques. »  

Pour ne citer que quelques exemples parmi d’autres, Berta Cáceres a notamment été la victime d’un coup monté. A l’occasion d’un contrôle, les autorités fouillent le véhicule de la militante et trouvent une arme. La défenseuse a toujours assuré que ce n’était pas la sienne. Pourtant, à la suite de cet événement, elle sera placée sous contrôle judiciaire avec obligation de se présenter au tribunal chaque semaine et empêchée de voyager librement jusqu’en 2014, date à laquelle l’affaire sera close. En parallèle, elle fera l’objet de deux autres procès intentés par DESA pour préjudice à l’entreprise. Berta Cáceres a beaucoup souffert de ces condamnations. 

Toujours dans une volonté de réduire au silence les militants et militantes, la société avait d’autre part saboté la radio La Voz del Gulacarque créé par le COPINH afin de donner la parole au peuple Lenca. Ainsi, elle était empêchée de diffuser, d’informer et de fédérer les communautés autour de son action. 

Le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile est un fléau conduisant de nombreux défenseurs et défenseuses des droits humains à être confrontés à des mesures de représailles sans précédent. En Amérique centrale, comme ce fut le cas pour Berta Cáceres et pour de nombreux militants écologistes amérindiens, il est fréquent que les mesures de répression visant à réduire les défenseurs et les défenseuses au silence aillent jusqu’à l’assassinat.

A l’issue de plusieurs mois d’enquêtes, des membres des services de renseignement de l’armée et des employés de la société DESA seront arrêtés pour le meurtre de Berta Cáceres. Le 2 décembre 2019, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, un responsable de DESA et l’ancien chef de la sécurité de l’entreprise sont écroués pour avoir assassiné la militante. 

En juin 2022, Roberto David Castillo, directeur exécutif de DESA, reconnu comme co-auteur du meurtre pour avoir fait le lien entre les commanditaires et les exécutants, sera également condamné à 22 ans de prison. L’entourage de Berta Cáceres regrette toutefois qu’il n’ait pas écopé de la peine maximale. « Ce n’est pas facile, car ce sont des personnes qui ont un grand pouvoir politique et économique »,  témoignait le frère de la victime

Toutefois, les véritables cerveaux de ce crime ayant ordonné l’assassinat demeurent à ce jour impunis. L’enquête diligentée par le parquet du Honduras a présenté certaines failles, ne cherchant pas réellement à faire plonger les coupables hauts-placés. En 2017, des policiers avaient été accusés de falsification de preuves, certaines pièces n’étaient pas consultables par les avocats et le dossier d’instruction avait même été dérobé à une magistrate. 

Avant son décès, Berta Cáceres avait alerté avoir été menacée de mort à trente-trois reprises et avait tenté de déposer des plaintes, malheureusement restées sans réponse. La nuit de sa mort, elle ne bénéficiait d’aucun dispositif de protection. Face à l’insécurité croissante, les défenseurs et défenseuses des droits ne sont plus assurés d’avoir recours à la protection des autorités et à une justice indépendante et impartiale. 

Au Honduras, le phénomène de rétrécissement de l’espace civique a été accentué depuis le coup d’État militaire de 2009. Deux mois seulement après ce changement de pouvoir, une loi générale des eaux est votée, permettant l’octroi de concessions sur un tiers des ressources hydriques du pays. Des mégaprojets, notamment des barrages hydroélectriques, se multiplient sur le territoire et sur les terres indigènes. Des centaines de honduriens et honduriennes qui manifestent contre de tels chantiers, mais aussi contre des exploitations minières et forestières ou agro-industrielles seront tués. 

Après le coup d’État et avant la récente élection de Xiomara Castro à la présidence du pays, le Honduras a connu une succession de gouvernements profondément corrompus et agissant en faveur des intérêts des entreprises spoliant les ressources des populations et détruisant l’environnement. Le pays est devenu l’un des plus à risques pour les défenseurs et les défenseuses des droits humains. 

Par ailleurs, en 2021, le Congrès national du Honduras a approuvé une réforme du Code pénal et de la loi spéciale sur le blanchiment d’argent, venant encore réduire  l’espace civique des militants et militantes, puisqu’elle défini « l’occupation illégale de l’espace public » comme une forme de détournement de biens. Des peines de prison sont désormais prévues pour quiconque « occupe illégalement un terrain ou un espace destiné à la jouissance de biens publics comme le droit d’utiliser un chemin, une route, un jardin, un parc, un espace vert, une avenue ou tout autre lieu destiné à l’usage ou à la jouissance du public » dans le but d’empêcher une autre personne de « pouvoir commencer ou poursuivre ses occupations, affectant ainsi l’exercice régulier de ses activités et de ses droits ».

En dépit du climat de plus en plus hostile envers les défenseurs et les défenseuses des droits au Honduras et malgré les multiples difficultés rencontrées par la militante, Berta Cáceres n’a jamais cessé de défendre les droits des populations autochtones et l’environnement. Son acharnement lui a valu d’être récompensée en décembre 2023, à titre posthume, de la citoyenneté d’honneur de la Ville de Lyon. Aujourd’hui, son parcours inspire tous les militants et militantes à travers le monde, elle est un véritable symbole pour les communautés autochtones défendant leurs territoires.

Le nouveau rapport « Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH » est toujours disponible, en cliquant ici.

 

Parole d’acteur : Marc Ona Essangui

février 2023

Le 10 décembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, Marc Ona Essangui était distingué citoyen d’honneur de la Ville de Lyon aux côtés de quatre autres défenseurs et défenseuses des droits humains et de l’environnement. Retour sur la vie de cet activiste gabonais qui, au cours de son parcours militant, a été confronté aux conséquences d’un phénomène croissant : le rétrécissement de l’espace civique dans son pays comme dans le monde.

Au fil des années, en s’attachant à défendre les droits des populations, la protection de l’environnement et à militer en faveur de la transparence dans la gestion de son pays, Marc Ona Essangui est devenu l’une des plus grandes voix critiques contre le pouvoir dynastique gabonais, en place depuis 1967. Sa carrière au sein des associations et organisations non gouvernementales de défense des droits humains est édifiante : fondateur de Brainforest, organisation travaillant sur la gestion durable et équitable des ressources naturelles du Gabon, président de Tournons La Page, mouvement de promotion de l’alternance démocratique, mais il est également ancien coordinateur de la coalition Publiez Ce Que Vous Payez du Gabon, œuvrant pour une industrie extractive transparente. Son engagement poursuit un seul et ultime objectif : « fuir les corporatismes au profit des combats citoyens ».

L’activiste, récompensé en 2009 par le prix Goldman pour l’environnement, doit pourtant faire face depuis des années au phénomène de rétrécissement de l’espace civique mis en œuvre par les autorités du Gabon. Cette situation s’est entre autres matérialisée par des représailles à son égard et en particulier par une condamnation pénale, en mars 2013, pour avoir critiqué Liban Soleman, chef de cabinet du président Ali Bongo Ondimba et alors propriétaire de la filiale gabonaise de la société Olam, principalement spécialisée dans le secteur de l’huile de palme. Marc Ona Essangui a été condamné à six mois de prison avec sursis, ainsi qu’à une amende de cinq millions de francs CFA (environ 7 600€) pour diffamation. Il s’avère que la société Olam, qui affichait pourtant une volonté de développer son activité de manière durable, est en réalité responsable d’une déforestation massive des forêts du pays pour l’élargissement de ses cultures.

En réaction à ces dégâts infligés aux ressources naturelles, les communautés locales, qui avaient pourtant récoltés des milliers de signatures grâce à leurs pétitions et le soutien de plusieurs organisations internationales, ont vu leur action être muselée par l’influence qu’Olam et le gouvernement ont exercé sur certains médias pour atténuer le retentissement de l’affaire.
Comme le souligne Reporters Sans Frontières dans son rapport sur le Gabon : « La culture d’une presse libre et indépendante peine à s’établir, y compris en ligne. L’influence du régime s’exerce à tous les niveaux et contribue à l’autocensure. Le secteur audiovisuel est dominé par les médias d’État, et la presse en ligne est noyautée par des médias créés par des proches du palais présidentiel et utilisés contre ceux qui ne s’alignent pas sur le régime. La Haute Autorité de la communication (HAC), organe de régulation des médias, manque cruellement d’indépendance. »

La condamnation de Marc Ona Essangui a été dénoncée par plusieurs ONG qui ont assimilé cet acte à une tentative de la présidence de la République gabonaise d’empêcher la mobilisation du peuple gabonais contre le projet Olam.

Cette condamnation n’est toutefois pas la seule menace à laquelle Marc Ona Essangui a dû faire face. Les autorités du Gabon usent régulièrement de leurs moyens pour empêcher les défenseurs et les défenseuses de droits d’effectuer le travail de vigie citoyenne. En 2008, les autorités gabonaises l’ont ainsi empêché d’effectuer un voyage aux les États-Unis où il était attendu sur invitation de l’ONG Revenue Watch Institute. Quelques mois plus tard, pour avoir dénoncé le contrat passé entre le gouvernement gabonais et une compagnie chinoise pour l’exploitation du gisement de fer de Belinga, sous le fallacieux prétexte de détention d’un document subversif, Marc Ona et plusieurs autres acteurs majeurs de la société civile, sont arrêtés, gardés à vue pendant cinq jours avant de se voir décerner un mandat de dépôt, le 28 décembre 2008. Il passera 5 jours en prison et sera libéré sous la pression de la communauté internationale. En 2019, il est confronté à d’importants délais dans les démarches de renouvellement de son passeport l’obligeant à décommander plusieurs événements internationaux relatifs aux droits humains et aux enjeux environnementaux. Cette période coïncide avec son action menée pour le lancement de la campagne « Touche pas à ma terre » redoutée par le régime en place.

Plus généralement, les atteintes à l’espace civique de gabonais se matérialisent régulièrement par la mise à mal de la liberté d’informer et d’être informé. En août 2016, alors que le président Ali Bongo Ondimba vient d’être réélu de manière controversée et non reconnue par l’opposition, les observateurs internationaux ayant suspecté des trucages, des manifestations post-électorales s’organisent dans le pays. Le régime répond par une violente répression faisant au moins 18 morts selon l’AFD. Des milliers de personnes seront également arrêtées. Afin de limiter le retentissement de ces événements, le gouvernement gabonais avait alors décidé de supprimer la connexion internet et une partie des services de téléphonie du pays pendant près d’un mois.

Au Gabon comme ailleurs, les membres des organisations de défense des droits humains sont régulièrement pris pour cibles et assistent à une recrudescence du rétrécissement de leur espace civique. Si les représailles subies par Marc Ona Essangui ne l’ont pour l’heure pas découragé à poursuivre son activisme, il devient pour autant plus que jamais nécessaire que les autorités et les partenaires mettent en œuvre les recommandations établies pour endiguer ce phénomène.

Le nouveau rapport “Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH” est toujours disponible, en cliquant ici.

Sortie de l’épisode 5 du podcast “Libres de Droit” de l’Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme

février 2023

L’épisode 5 du podcast “Libres de Droit” de l’Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme, qui porte sur l’accompagnement juridique des demandeuses d’asile victimes ou menacées d’excision, est maintenant disponible !

Il s’agit d’un sujet crucial pour la protection des droits de l’Homme et des droits des femmes, traité successivement par Mme Danielle Mérian, présidente de SOS Africaines en Danger, et Me Audrey Grisolle, avocate spécialisée dans le droit des étrangers.

 

Le podcast est disponible via Anchor, en cliquant ici et sur Spotify à cette adresse. 

Lancement du podcast “Pas de démocratie sans femmes !” de Tournons la Page

décembre 2022

 

À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, Tournons La Page (TLP) a lancé la première émission du podcast « Pas de démocratie sans femmes ! ».

Avec ce podcast, les femmes leaders de Tournons La Page souhaitent changer les récits et les discours sur la contribution des femmes à la démocratie.

 

 

 

 

 

 

 

Épisode 1 : Quels risques encourent les femmes activistes ?

Les femmes activistes encourent les mêmes risques que leurs homologues masculins : menaces, harcèlement juridique, intimidations étatiques, etc. Mais elles doivent aussi faire face aux violences basées sur le genre (viols, féminicides, attaques à l’acide, entre autres), en plus des nombreux autres obstacles découlant des stéréotypes sexistes profondément ancrés dans les mentalités. En effet, l’incompréhension et les violences se trouvent même au sein de leurs cercles intimes, qui les poussent au désengagement. Tout cela a pour objectif d’invisibiliser le combat des femmes activistes.

Ecoutez le podcast en cliquant ici

Nouveau rapport de la FIACAT “Vivre l’enfer[mement] : Regard sur la détention des femmes et des mineur.es en Côte d’Ivoire”

décembre 2022

Cordoonnée par Bénédicte Fischer du Centre d’Etudes et de Recherche sur la diplomatie, l’Administration Publique et le Politique (CERDAP), Lionel Grassy et Paul Koffi Kouadio, le rapport « Vivre l’enfer[mement]: Regard sur la détention des femmes et des mineur.es en Côte d’Ivoire »  croise différents témoignages issues du milieu carcéral.

La rédaction de ce rapport s’inscrit dans la phase finale de la mise en œuvre du projet « Assister les Prévenu.es et favoriser la réinsertion Sociale des femmes et mineur·es des prisons de Côte d’Ivoire (APRES CI) », mené depuis 2014 et soutenu par la délégation européenne en Côte d’Ivoire. Il concernait initialement trois prisons de Côte d’Ivoire, avant d’être étendu à six, puis finalement dix. Cependant, malgré les grandes avancées en résultant, la question de la détention préventive, bien qu’encadrée dans des délais dorénavant bien définis, reste préoccupante, avec parfois un taux de détention préventive dépassant 33% dans certaines prisons.

Cliquez ici pour lire le passionnant rapport de la FIACAT sur le milieu carcéral en Côte d’Ivoire

[RAPPORT] “Togo : une tradition de répression” par Tournons La Page

novembre 2022

 

Tournons La Page, membre de la PDH, vient de publier un nouveau rapport intitulé “Togo : une tradition de répression”. 

Le Togo, dirigé par la même famille depuis 1967, a institutionnalisé une tradition de répression de l’espace civique : arrestations et emprisonnements arbitraires de défenseurs des droits humains, d’activistes pro-démocratie, de journalistes et d’opposants politiques, entachés de décès en détention ou au sortir de détention, interdictions de manifestations comme de réunions privées, dégradation de la liberté d’expression et de la presse avec des suspensions abusives de journaux… Une tradition qui, après une légère décrispation au début des années 2010 avec la dépénalisation des délits de presse, est redevenue la norme à partir d’août 2017 avec la mobilisation populaire pour le retour à la Constitution originelle de 1992 (dont l’article 59 limitait à deux le nombre de mandats présidentiels) et le droit de vote de la diaspora.

Le présent rapport commence par faire une analyse des textes juridiques de l’État du Togo en matière des droits humains, mettant en lumière les dispositions liberticides actuellement en vigueur au Togo. Il compile ensuite les différents cas d’arrestations, d’interdictions de manifestation et de réunion et les coupures d’internet afin de démontrer leur récurrence et la dynamique de rétrécissement de l’espace civique à l’œuvre depuis 2017 au Togo. Le rapport se termine par une emphase sur les piètres conditions carcérales, la culture de la torture, et enfin l’impunité dont bénéficient les forces de l’ordre même lorsqu’elles commettent des homicides.

Tournons La Page vous invite tous et toutes à lire et à partager ce rapport. 

Le rapport est accessible à cette adresse : https://bit.ly/3XjJz3o

[RAPPORT] “RD-Congo : les défenseur.se.s des droits sur le banc des accusé.e.s” par Agir ensemble pour les droits humains, SOS – Information juridique Multisectorielle et la Synergie UKINGO WETU

octobre 2022

Dans un rapport publié le 20 septembre 2022, Agir ensemble pour les droits humains (membre de la PDH), SOS – Information juridique Multisectorielle (basé à Bukavu), et la Synergie UKINGO WETU (basé à Goma), dressent un état des lieux inquiétant de la situation des défenseur.e.s des droits humains en République Démocratique du Congo. 

Révélateur, ce rapport met en lumière à travers des situations concrètes, les “mécanismes de criminalisation des défenseur.se.s ayant pour conséquence la perpétuation des violations de leurs droits, et l’affaiblissement du respect des droits humains dans le pays.”

Par ce rapport, ces organisations dénoncent ces violations des droits humains et exigent la mise en place de mesures effectives pour leur porter protection, de la part des responsables politiques, mais également de la communauté internationale, qui se doit de réagir face à cette situation.

Ce rapport à pour but de provoquer une prise de conscience générale, et fait de son objectif premier le combat pour la liberté des défenseur.se.s des droits humains d’œuvrer dans le respect de leurs droits en RD Congo.

Vous pouvez télécharger le rapport directement à cette adresse : https://bit.ly/3UYq3sh

Egalement, vous avez la possibilité de vous inscrire au Webinaire de présentation, ouvert au grand public, et qui aura lieu le mardi 08 novembre 2022 à 9h30 (heure de Kinshasa et Paris) et 10h30 (heure de Goma et Bukavu) – inscription obligatoire à cette adresse : https://bit.ly/3BUwm8y

La peine capitale enfin abolie en République centrafricaine

juin 2022

 

Le 27 mai 2022, le Parlement centrafricain a adopté un texte de loi abolissant la peine de mort, faisant de la République centrafricaine (RCA) le 24e pays africain et le 110e dans le monde ayant pris cette décision. Une avancée non négligeable dont l’ONU et les ONG militant pour les droits humains peuvent se féliciter.

Parmi celles-ci, nous incluons nos partenaires de l’ACAT RCA et les parlementaires soutenus par Ensemble contre la peine de mort – ECPM et la Fédération internationale des ACAT – FIACAT, membres de la PDH. Après de longues et intenses années de travail de plaidoyer, ils sont aujourd’hui parvenus à franchir cette étape historique dans la lutte contre la peine de mort.

«Nous sommes très satisfaits, mais conscients qu’il va falloir sensibiliser la population », Bruno Gbiegba, Coordinateur du plaidoyer abolitionniste de l’ACAT RCA.

Découvrez le communiqué de presse ici 

Image : ECPM

Lutte contre la peine de mort : week-end de mobilisation

octobre 2021

Alors que la France s’apprête à célébrer les 40 ans de la peine de mort ce samedi 9 octobre, la peine de mort est encore une réalité pour 55 pays et territoires.

La Journée mondiale contre la peine de mort se déroule ce dimanche 10 octobre et est dédiée aux femmes condamnées à mort. Les femmes sont souvent victimes de préjugés basés sur leur genre ce qui compromet leur accès à une justice équitable. A ce jour, 800 sont condamnées à mort dans le monde. La Coalition mondiale contre la peine de mort propose une série de 10 choses que vous pouvez faire pour lutter contre la peine de mort sur la page de sa campagne, ainsi qu’un kit de mobilisation.

Si en France, la peine de mort n’est plus une réalité, elle l’était encore il y a deux décennies. Ce samedi 9 octobre marque les 40 ans de l’abolition de la peine de mort. A cette occasion, ECPM organise une série d’événements en Île de France qui lance un mois de sensibilisation et de mobilisation pour une justice mondiale sans peine de mort. Une projection-débat autour du film L’Etat du Texas contre Melissa est prévue vendredi soir et un village de l’abolition accueillera du public samedi. D’autres événements internationaux sont également organisés par ECPM et ses partenaires ce week-end.

En savoir plus :

Ensemble Contre la Peine de Mort – ECPM

Coalition mondiale contre la peine de mort

Au pays des morts vivants

octobre 2021

Dossier : les conditions de détention des personnes condamnées à mort dans 9 pays.

Certains redoutent la mort chaque matin. D’autres sont condamnés à mort dans un pays qui ne procède plus à aucune exécution. Ces “morts-vivants” craignent, chaque jour, la possibilité d’un retour en arrière et l’annulation du moratoire. Un moratoire qui allonge une vie à l’arrêt, entre quatre murs.

À la fin de l’année 2020, au moins 483 exécutions sont recensées. Et ce sont plus de 28 500 personnes qui se trouvent sous le coup d’une peine capitale, dans une cinquantaine de pays. Ces condamnés à mort passent des mois, des années, voire plusieurs décennies en détention.

Les jours des condamnés s’égrènent au rythme d’un quotidien éprouvant. Ici, les potences sont exposées pour accroître la pression psychologique. Là, des positions humiliantes sont exigées lors de chaque déplacement. Qu’ils soient incarcérés avec des personnes purgeant d’autres types de peines, affectés à des établissements spécifiques ou dans des “couloirs de la mort”, les condamnés à mort ont un statut particulier et ils subissent des conditions souvent plus restrictives et sécuritaires que le reste de la population carcérale.

Comment vit-on quotidiennement en attendant la mort ?

Prison Insider publie Au pays des morts vivants . Un état des lieux, chiffres et témoignages à l’appui, sur les pratiques de neuf pays qui n’ont pas aboli la peine de mort : Biélorussie, Cameroun, Inde, Indonésie, Japon, Malaisie, Mauritanie, Pakistan et République démocratique du Congo.

Lire la suite sur le site internet de Prison Insider

Enfermé, confiné : quelles leçons pour demain ?

mai 2020

Ce moment unique dans l’histoire du XXe siècle où près de la moitié de l’humanité expérimente l’enfermement.
Un nouveau mot a fait son apparition dans le langage commun : le confinement. Ce terme inusité autrefois est en passe de devenir l’alpha et l’oméga de toute conversation et pensée rationnelle de notre temps. Les « coronials » pourraient bien prendre la place des « millenials » dans un futur assez proche.

ECPM et ses équipes, comme une grande partie du monde aujourd’hui, observent un confinement strict, car c’est par une solidarité accrue et un sens des responsabilités que nous gagnerons contre cette pandémie. Une responsabilité que l’on se doit d’avoir pour autrui, pour les anciens, pour tous les plus faibles et les plus fragiles d’entre nous.

Parmi eux se trouvent tous les prisonniers à travers le monde pour qui nous avons une pensée particulière, qui du fond de leur cellule vivent avec une angoisse exacerbée les folies de ce monde nouveau. À l’isolement, se rajoute la peur de la maladie et l’angoisse de ne pas avoir de nouvelle de leur famille. Les familles, de leur côté perdent le contact avec leur proche incarcéré, souvent mis à l’isolement, dans une sorte de « quarantaine » permanente, où ils croupissent sans nouvelles, sans information de ce qui se joue à l’extérieur de leur monde clos.

Je pense tout particulièrement en cet instant à Serge Atlaoui au fond de sa prison de Kembang Kuning sur l’île de Nusa Kambangan en Indonésie.

Je pense au 24 mars 2010, il y a 10 ans exactement, où Hank Skinner, dans la tristement célèbre prison de Huntsville au Texas, devait être exécuté. Je me rappellerai éternellement ce soir où tous réunis sur la place de la Concorde à Paris, devant l’ambassade des États-Unis à quelques heures de l’exécution programmée de Hank Skinner nous continuions d’y croire malgré les minutes qui s’égrenaient. J’avais Sandrine Ageorges-Skinner, son épouse et mon amie en direct du Texas, qui était encore et toujours confiante, l’actrice Lou Doillon venait nous apporter son soutien, les militants, sympathisants et autres partenaires d’ECPM étaient tous présents, criant leur soutien. Hank a survécu à 45 min de l’exécution. Je pense à Mumia Abu-Jamal qui a passé 38 ans derrières les barreaux (dont 26 ans condamnés à mort).

Je repense toujours à Dostoïevski, dans L’Idiot, qui nous montre que le condamné à mort meurt deux fois : Il meurt dans sa certitude qu’il va être exécuté et il meurt sur l’échafaud. Je rajouterais qu’il meurt à petit feu, également dans ce purgatoire terrestre, qui n’a rien de réparateur mais tout de la main vengeresse de l’Homme.

« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons » – Fiodor Dostoïevski
Cette expérience que nous vivons tous, malgré nous, peut nous amener collectivement à se tourner vers l’autre dans une expérience d’empathie collective au-delà des frontières, au-delà des murs, au-delà des barreaux. Deux choix s’offrent à nous après cette crise : soit nous reprenons nos vies comme avant, sans rien changer de nos habitudes, de nos comportements écologiques, éthiques et sociaux, soit nous considérons qu’il y a un avant et un après « confinement ». Que nous ne pouvons plus accepter la torture de l’enfermement. Les missions d’enquêtes qu’ECPM mène dans les couloirs de la mort partout dans le monde font partie de cette pédagogie, pour expliquer les conditions de vies très souvent scandaleuses dans les couloirs de la mort aussi bien dans des prisons insalubres et surpeuplées au cœur de la RDC ou dans la moiteur indonésienne, que dans les pénitenciers désincarnés et déshumanisant américains.

Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur général d’ECPM

Publié par ECPM le 31 mars 2020

Exécutions en Arabie saoudite : « La paralysie et l’hypocrisie continuent de régner au sein des nations »

mai 2020

Le directeur général de l’ONG Ensemble contre la peine de mort, Raphaël Chenuil-Hazan, explique que l’Arabie saoudite, qui multiplie les exécutions de personnes issues des minorités chiites ou de milieux les plus vulnérables, présente le visage de la barbarie.

Tribune. Après l’affaire Jamal Khashoggi [l’assassinat du journaliste saoudien à Istanbul en 2018], le royaume saoudien s’est retrouvé au pied du mur. Etre au ban des nations, ne plus regarder vers l’avenir et ne voir qu’impies, ennemis, opposants, dissidents, terroristes à abattre ou à éliminer, quel qu’en soit le prix. Une autre possibilité eut été le choix d’une certaine ouverture (peut-être progressive au début) mais réelle, sincère et visible.

Malheureusement ce ne fut pas le chemin choisi. Les spadassins du royaume ont beau porter partout la voix de Riyad, le temps du pouvoir pétrolier et monétaire prend fin. Hier, le secteur privé international se battait pour commercer avec l’Arabie saoudite quel qu’en soit le prix, aujourd’hui, il se bouche le nez, demain, il aura honte.

J’ai, pour ma part, été (comme d’autres dirigeants d’ONG internationales) approché à plusieurs reprises par la diplomatie saoudienne. J’ai eu l’occasion de les rencontrer, notamment au sein de leur ambassade à Bruxelles en novembre 2018 pour aborder avec eux l’avenir, le dialogue et l’engagement de la politique du prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) en ce qui concerne l’application de la peine de mort. Ils me disaient que les choses avançaient, bougeaient dans un environnement tribal et ultra-conservateur qu’il fallait prendre en compte.

Lire la suite sur Le Monde (tribune publiée le 02 mai 2019)

Loi Asile et Immigration du 10 septembre 2018 : l’ACAT dresse un premier bilan de sa mise en œuvre

avril 2020

Publié par l’ACAT-France le 14 janvier 2020.

La loi Asile et Immigration du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie est la 17ème réforme majeure depuis 1980 en droit des étrangers et droit d’asile.
Une note d’analyse, consultable dans son intégralité ici et adressée ce jour à des parlementaires et organisations internationales, alerte sur les effets de la loi du 10 septembre 2018 qui vise à restreindre une fois de plus les droits fondamentaux des personnes étrangères. Ces atteintes s’opèrent à plusieurs niveaux:

L’accélération de la procédure de demande d’asile à travers des mesures telles que le placement en procédure accélérée des demandes d’asile déposées après un délai de 90 jours et l’introduction de la demande d’aide juridictionnelle induisant la suspension et non plus l’interruption du délai de recours devant la CNDA. L’ACAT dénonce une prise en compte moindre des situations individuelles et des besoins spécifiques des demandeurs d’asile. L’ACAT rappelle que le droit d’asile est un droit fondamental qui ne peut s’exercer dans l’urgence.
Une restriction des droits au séjour et au juge avec notamment la cessation du droit au maintien en France dès la lecture publique de la décision de la CNDA et l’exclusion du droit au séjour de certaines catégories de demandeurs d’asile les privant parallèlement du bénéfice d’un recours suspensif. De la loi découle la volonté d’écarter le plus grand nombre de demandeurs d’asile de la procédure au profit d’une politique migratoire axée sur l’expulsion. L’ACAT exhorte l’État à sortir de cette logique de l’expulsion et à garantir à tous les demandeurs d’asile un réel droit au recours effectif.
Un recours accru à la rétention avec l’allongement de la rétention de 45 à 90 jours et la persistance de la pratique de l’enfermement de mineurs en rétention et en zone d’attente. L’ACAT demande aux autorités de mettre un terme définitif à l’enfermement des mineurs dans tous les lieux de rétention administrative et en zone d’attente, tant en métropole qu’outre-mer.
Enfin, l’ACAT regrette que trop peu de dispositions aient été intégrées au volet sur l’intégration, notamment sur le plan de la réunification familiale, levier pourtant essentiel à l’insertion des bénéficiaires d’une protection internationale. La loi du 10 septembre 2018 a été une occasion manquée d’engager une réforme de la procédure de réunification familiale.

 

Malgré la crise sanitaire, préserver le droit d’asile

avril 2020

Publié par Forum réfugiés-Cosi le 24 mars 2020.

La France, comme l’ensemble des pays européens, est confrontée à une crise sanitaire majeure liée au virus Covid-19, crise qui entraîne une nécessaire suspension ou limitation des activités dans de nombreux domaines. Pleinement conscient de ce contexte exceptionnel, Forum réfugiés-Cosi rappelle cependant que le droit de demander l’asile est un droit fondamental de l’être humain (Article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948), et que le droit de demander l’asile à la frontière comme sur le territoire ne doit et ne peut juridiquement être remis en question.

Aux frontières, le principe de non refoulement demeure la pierre angulaire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié. Le 19 mars 2020, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés Filippo Grandi a déclaré que les mesures adoptées par les États du fait de la crise sanitaire « ne devraient pas avoir pour effet de fermer les voies d’accès aux régimes d’asile, ni de forcer des civils à retourner vers des situations de danger ». Il ajoute que « si des risques sanitaires sont identifiés, des systèmes de dépistage peuvent être mis en place ainsi que des tests, le placement en quarantaine et d’autres mesures ».

Forum réfugiés-Cosi demande que des directives en ce sens soient données aux services de police aux frontières, alors même que l’instruction du Premier ministre en date du 18 mars sur le contrôle des frontières ne fait aucune mention du droit d’asile, dont il faut aussi rappeler qu’il est un droit constitutionnel.

Sur le territoire, les adaptations du système d’asile sont bien entendu nécessaires, l’ensemble de ses acteurs étant soumis aux contraintes générées par les mesures de confinement et le respect des consignes sanitaires.

L’accès à la demande d’asile doit cependant demeurer possible, en tant qu’il constitue un service public essentiel assurant le respect d’un droit fondamental. Forum réfugiés-Cosi forme le vœu que des mesures soient adoptées, de manière aussi harmonisée que possible sur l’ensemble du territoire, pour que les guichets uniques réunissant les services des préfectures et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) continuent, selon des modalités adaptées, leurs missions d’enregistrement des demandes d’asile et d’attribution des conditions matérielles d’accueil. Tout doit être également fait pour que les services de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA) puissent, moyennant des mesures adaptées et dans le strict respect des instructions des autorités sanitaires, ne pas empêcher l’accès à la protection internationale.

Concernant l’instruction des demandes, Forum réfugiés-Cosi salue les mesures annoncées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) visant à préserver la possibilité d’obtenir une protection pour toutes les personnes relevant du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire.

Ces considérations s’appliquent par ailleurs à l’Union européenne et à l’ensemble des États membres, où des régimes juridiques d’exceptions et des pratiques dérogatoires s’établissent parfois sans une prise en compte suffisante des impératifs liés au droit d’asile. Forum réfugiés-Cosi est particulièrement préoccupé par la situation à la frontière entre la Turquie et la Grèce, laquelle s’apprête à éloigner vers leur pays d’origine plusieurs centaines de réfugiés entrés sur son territoire, sans examen de leur demande d’asile. La mise en œuvre de telles mesures, qu’elles soient adoptées au motif de la crise sanitaire ou qu’elles la précèdent (pour la Grèce, voir notre communiqué du 3 mars 2020), vont à l’encontre du droit international et du droit européen.

Comme l’affirme très justement le Haut-Commissaire aux réfugiés Filippo Grandi dans sa déclaration précitée, « en ces temps difficiles, n’oublions pas les personnes qui fuient les guerres et la persécution, elles ont besoin – comme nous tous – de solidarité et de compassion, aujourd’hui plus que jamais ».

La fièvre des prisons :  le coronavirus entre quatre murs

mars 2020

Publié par Prison Insider le 18 mars 2020

Le coronavirus ne s’arrête pas aux portes des prisons. Prison Insider compile, continent par continent, pays par pays, les informations et les mesures prises… ou non… pour assurer la sécurité de tous, détenus et personnels en prison. Le site s’intéresse aux conséquences de la pandémie dans les lieux de privation de liberté à travers le monde.

Les personnes détenues vivent parfois dans la promiscuité et l’insalubrité, partagent une cellule de quelques mètres carrés ou un dortoir collectif. Elles présentent un moins bon état de santé que la population générale. Les gestes-barrière à adopter se heurtent aux conditions matérielles et à un accès aux soins inégal.

Quelles sont les mesures prises pour assurer la sécurité de tous en prison, pour les personnes détenues et les personnels ? Quelles sont les conséquences de la pandémie sur les conditions de vie en détention ?

Consulter le fil d’information “Coronarirus : la fièvre des prisons”.

En rétention, l’exercice difficile du droit d’asile

mars 2020

Le droit d’asile peut être invoqué par un étranger à tout moment, y compris en centre de rétention administrative. Dans ce contexte, l’exercice du droit d’asile s’inscrit cependant dans un cadre juridique spécifique, dont la mise en œuvre est marquée par de nombreuses difficultés.

L’engagement des États à ne pas renvoyer vers leur pays des personnes qui ont des craintes en cas de retour suppose de pouvoir solliciter les autorités à tout moment, pour demander un examen de sa situation au regard des normes relatives au droit d’asile.

Tout étranger peut ainsi exercer ce droit fondamental à la frontière lors de son arrivée (avec placement possible en zone d’attente), sur le territoire auprès de la préfecture (voir le parcours du demandeur d’asile sur le territoire), ou avant la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement au cours d’un placement en centre de rétention administrative (CRA). Dans cette dernière hypothèse, les demandeurs d’asile sont soumis à un cadre juridique spécifique.

Le délai pour formuler une demande d’asile en rétention est de cinq jours. Une demande peut cependant être déposée au-delà de ce délai si la personne n’a pas pu bénéficier d’une assistance juridique pendant ces cinq jours, ou si elle invoque des faits survenus après ce délai. Dans un rapport publié en 2018, l’association La Cimade indiquait qu’en 2017, 109 demandes d’asile sur 617 formulées dans neuf centres de rétention (soit 18%) avaient été jugées irrecevables en raison du dépassement du délai.

Dès lors qu’une demande est déposée, elle devrait en principe être instruite sur le territoire avec les garanties habituelles entourant la demande d’asile. La loi permet cependant à la préfecture de maintenir la personne en CRA si elle « estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement ». En pratique, les décisions de maintien en rétention sont systématiques. Les préfectures sont tenues de motiver ces décisions, mais elles ne peuvent ni avoir connaissance du fond de la demande ni considérer que le simple fait de demander l’asile après son placement en rétention vise à faire échec à l’éloignement, ce qui aboutit souvent à des décisions stéréotypées. Alors que les décisions de privation de liberté sont habituellement contrôlées par le juge des libertés et de la détention (JLD), conformément à la Constitution française qui désigne l’autorité judiciaire comme « gardienne de la liberté individuelle », le recours contre la décision de maintien suite à une demande d’asile est examiné par le tribunal administratif – une exception validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 4 octobre 2019.

L’une des principales difficultés de la procédure d’asile en rétention repose sur les conditions de l’entretien. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) entend le récit des étrangers retenus à travers un dispositif de visio-conférence, qui complique souvent la communication et pose des enjeux de confidentialité dans certains CRA. Privés de liberté, les demandeurs d’asile en CRA peuvent par ailleurs rencontrer des difficultés pour préparer leur entretien – au cours duquel ils peuvent être assistés par un tiers habilité, notamment issu d’une association présente en rétention.

Le taux d’accord en rétention n’a pas été communiqué par l’OFPRA en 2018, mais les associations qui assurent l’aide à l’exercice des droits dans ces lieux n’ont recensé cette année-là qu’une vingtaine de décisions positives pour 1 261 demandes cette année-là (pas de données plus récentes disponibles). Bien que de nombreuses demandes soient formulées dans ces lieux pour tenter d’éviter ou de retarder l’éloignement – un étranger ne pouvant être éloigné tant que sa demande d’asile, si elle est jugée recevable, n’a pas été examinée par l’OFPRA -, de nombreux étrangers peuvent prétendre à une protection au titre de l’asile qu’ils n’ont pas pu solliciter avant leur placement en rétention.

Une autre difficulté repose sur l’absence de caractère suspensif du recours dans ces lieux. En effet, si un recours peut être formé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) comme sur le territoire, cette démarche ne suspend pas la mise en œuvre de l’éloignement. Cette situation n’est pas de nature à garantir l’effectivité des recours pourtant requise par la jurisprudence européenne en la matière, impliquant des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité telles qu’exigées par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt de 2012 condamnant la France pour l’absence d’effectivité du recours en rétention.

Enfin, l’articulation entre le processus d’éloignement et la procédure d’asile constitue aussi une problématique majeure. L’une des démarches clés pour les autorités lors de la période de rétention, consiste à obtenir un laissez-passer auprès du pays d’origine pour permettre un retour (voir notre article de newsletter de janvier 2019). Cela suppose une présentation de l’étranger retenu auprès des autorités consulaires, une démarche prohibée dans le cadre du droit d’asile car susceptible de menacer la sécurité du demandeur ou de ses proches restés au pays si les autorités nationales sont effectivement à l’origine de persécutions. Mais si aucune démarche n’est entamée, l’administration peut se voir reprocher un manque de diligence qui ne justifie pas le maintien en rétention et entraîne donc une libération par le juge.

Sur ce sujet, la Cour de cassation a estimé en 2011 que le dépôt d’une demande d’asile ne dispensait pas l’administration de poursuivre les démarches nécessaires à l’éloignement. En 2013, la Cour d’appel de Paris a cependant précisé que si les autorités consulaires peuvent être saisies, les personnes ne peuvent y être présentées tant que la demande d’asile est en cours d’instruction et cette saisine ne doit pas mener à transmettre des informations confidentielles. En écho à ces exigences, la CNDA estime d’ailleurs que le partage de l’information selon laquelle le retenu était demandeur d’asile auprès des autorités consulaires sollicitées pour l’obtention d’un laissez-passer, est de nature à aggraver les craintes de persécutions.

L’ensemble de ces éléments questionne la qualité du système d’asile en rétention, un lieu où toutes les conditions devraient être réunies pour s’assurer qu’aucune personne n’est éloignée vers un pays où elle craint des violences et persécutions.

Des nouveaux projets pour Avocats Sans Frontières en 2020

mars 2020

En 2020, Avocats Sans Frontières France démarre 4 nouveaux projets : 2 au Mali, 1 au Cameroun et 1 en Haïti. Le démarrage de ces projets résulte de la volonté de l’association d’agir “là où la défense n’a plus la parole”.

Au Mali

ProFOTO : Promotion des droits fondamentaux des détenus et application des instruments juridiques de prévention de la torture.

ProFOTO a pour objectifs= de contribuer à la prévention des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants afin d’améliorer l’Etat de droit au Mali et de promouvoir une meilleure connaissance et application des dispositifs de prévention de la torture par le renforcement des capacités des acteurs de la chaîne pénale et le plaidoyer pour la prévention de la torture dans les lieux de privation de liberté.

JUGE : Justice pour les survivantes de violences basées sur le genre

JUGE a été conçu avec l’objectif de renforcer le respect des droits de l’Homme et participer à la consolidation de la démocratie au Mali et de lutter contre les Violences Basées sur le Genre (VBG) et l’impunité de leurs auteurs. Poursuivre les auteurs de VBG permettra de rendre justice aux survivantes, crédibiliser l’action de la justice étatique et promouvoir la confiance des citoyens envers les institutions.

Au Cameroun

RECAJUD : Renforcement des Capacités de la société civile camerounaise pour l’accès à la Justice des personnes en Détention

RECAJUD vise à renforcer les capacités des membres de la chaîne judiciaire dans la protection et la prise en charge des personnes privées de liberté, en particulier les personnes en situation de vulnérabilité, et à promouvoir la mise en application des peines alternatives.

En Haïti

IMPLIC : Implication et participation des acteurs pour la protection des droits des personnes privées de liberté

Le projet IMPLIC a pour objectif de contribuer au renforcement de l’Etat de droit et au respect des droits de l’Homme en Haïti et de contribuer à la défense et à la protection des droits des personnes privées de liberté par l’implication et la participation des acteurs nationaux en Haïti.

Ces nouveaux projets s’ajoutent aux 4 autres projets déjà mis en place sur le terrain par ASF France et qui se poursuivent.

Au Nigeria

ProCAT : Lutte contre la torture

Le projet, lancé 2009, a pour but de contribuer à la réduction des actes de torture de toute la chaîne judiciaire, d’améliorer l’accès à la justice et aux services juridiques pour les victimes de torture, de renforcer les connaissances et compétences des autorités judiciaires et de promouvoir une meilleure connaissance et application des principes de la Convention des Nations-Unies contre la Torture (UNCAT). Au fil des années, ProCAT s’est étendu dans 5 Etats du Nigeria : Kaduna, Lagos, Ego, Enugu et Imo.

SAFE : Renforcement des capacités des acteurs nationaux et pour mettre fin aux violations graves des droits de l’homme

Mis en place depuis 2019, SAFE a pour objectif de renforcer la promotion et le respect des droits de l’Homme au Nigéria dans les situations où les personnes sont le plus menacées, en protégeant leur dignité humaine et de contribuer à mettre fin aux violations graves des droits de l’Homme (torture, mauvais traitements, détention arbitraire et exécutions extrajudiciaires) perpétrées en toute impunité par les services de sécurité des États de Kaduna, Enugu et Lagos.

Au Cambodge

MAJC : Mobilisation des Acteurs et accès à la Justice pour les Cambodgiennes

Lancé en novembre 2018, la finalité du projet MAJC est de favoriser l’accès à la Justice des femmes victimes de Violences Basées sur le Genre (VBG) grâce à une prise en charge adéquate d’une part, et de sensibiliser la communauté aux droits des femmes et aux violences qu’elles subissent d’autre part. Pour cela le projet intervient à différentes échelles – au niveau de la Province, des districts et des villages – et s’adresse à une diversité d’acteurs, qu’ils soient acteurs de la chaîne pénale, acteurs associatifs ou membres des communautés.

En Grèce 

Samos Legal Centre

Samos, île de la mer Égée, est située face à la côte turque. Elle compte le deuxième plus grand nombre de migrants: plus de 8 000 réfugiés et migrants résident sur l’île, alors que le camp a une capacité d’accueil n’allant que jusqu’à 650 personnes. Depuis janvier 2019, le Centre juridique de Samos fournit une assistance juridique aux demandeurs d’asile et travaille avec des avocats et experts juridiques nationaux et internationaux (avocats grecs inclus). Quotidiennement, le Legal Centre accueille les demandeurs d’asile présents sur l’île de Samos. L’équipe sur place délivre des conseils juridiques, mais également un accompagnement judiciaire sur différentes procédures.

IREX Europe publie un manuel de journalisme avec son projet JAMIL.NET en Tunisie

mars 2020

IREX Europe est heureuse d’annoncer que son manuel de journalisme, développé en partenariat étroit avec Alternative Media basé en Tunisie, est désormais disponible en français et en arabe.

Le manuel a été élaboré par les experts français Jocelyn Grange et Jean-Marie Coat ainsi que les experts tunisiens Nizar Ben Hassen et Manel Gharbi avec le soutien de l’Union européenne, de l’ambassade des États-Unis en Tunisie et de l’Agence française du développement.
Ce manuel de journalisme a été développé pour fournir un outil aux radios communautaires, ainsi que pour mieux équiper les formateurs qui disposent désormais des outils nécessaires pour aider les radios communautaires à produire des programmes journalistiques de haute qualité. Le manuel couvre l’ensemble des activités de fonctionnement et de travail au sein d’une radio communautaire, fournissant ainsi des conseils de gestion, des bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines et des conseils aux journalistes et animateurs de radio. Le manuel, rédigé dans un format de fiches d’information, est donc facile à utiliser.
Les sujets clés sont:
• Comment être un média communautaire
• Comment faire du journalisme communautaire
• Comment être un animateur dans une radio locale
Le manuel est disponible en Français et en Arabe.

Lire l’article en Anglais sur le site d’Irex Europe : http://irex-europe.fr/2020/02/05/journalism-manual-available/

Témoignage – Dans la prison de Makala : 19 années sans destin

mars 2020

REPORTAGE – Il faut se démunir de tout appareil électronique pour pénétrer en règle au sein de la prison centrale de Makala, à Kinshasa. Qu’importe, car aujourd’hui c’est un livre que nous venons présenter aux prisonniers et aux responsables, rencontrés quelques mois auparavant dans le cadre de notre enquête sur les conditions de détention des condamnés à mort en République démocratique du Congo (RDC).


Désormais publié, « Vers une mort en silence » est voué à porter haut et fort la voix de ces condamnés oubliés dans des conditions de vie inhumaines, et faire bouger les lignes de la justice du pays. Au cours de cette visite, Jojo M., condamné à mort depuis 19 ans, nous raconte ses années latentes.

Nous n’avons pas le droit d’aller à la rencontre des condamnés à mort dans leur bâtiment ; ils nous rejoindront dans l’étroit bureau mis à notre disposition. « Dans le bâtiment des hommes, les conditions de vie sont inhumaines, vous ne pourrez même pas rentrer » lâche un responsable de la prison. La prison centrale de Kinshasa a été construite en 1958 pour une capacité d’accueil de 1500 personnes ; en 2018, elle comptait 8500 personnes détenues, soit un taux d’occupation de 560 %. « La surpopulation est terrible : ils sont dans les couloirs, les toilettes, il n’y a pas d’endroit pour mettre les carpettes » précise-t-il.

Au compte-gouttes, onze des treize condamnés à mort que compte la prison (ceux dont les conditions de santé leur permettent de se déplacer) se joignent effectivement à nous.

Parmi eux se trouve Jojo M. Il est le benjamin du groupe, celui qui connaît par cœur ces couloirs et que, réciproquement, les détenus connaissent bien : « Il était tout petit quand on l’a arrêté, il a vieilli en prison » le décrivent-ils. D’une voix voilée et parfois saccadée, Jojo jette un œil au rapport et revient sur son expérience, semblable à celle de nombreux condamnés congolais. […]

Consulter le rapport

Lire la suite du témoignage sur www.ecpm.org

Interview de Passy Mubalama, coordinatrice d’une association partenaire d’AEDH

mars 2020

Passy MUBALAMA est coordinatrice d’AidProfen, organisation à but non lucratif partenaire d’AEDH (Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme), pour la défense des droits humains et la protection du droit des femmes et des enfants en République démocratique du Congo.

– « Les femmes se sous-estiment alors qu’elles peuvent contribuer au développement du pays. Il faut mettre en avant le leadership féminin ! » –

 

La région des Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) a été touchée par un conflit entre plusieurs groupes armés jusqu’en 2013 et depuis, certains groupes armés sévissent toujours. Les femmes sont les premières concernées par ces actes de violence (viols, violences sexuelles, mutilations). AidProfen aide ainsi à la reconstruction post traumatique, soutient la participation des femmes à la vie politique locale et mène des actions de plaidoyer.

 

AEDH : Comment avez-vous connu AEDH et quels projets ont mené ensemble AEDH et Aid Profen ?

AEDH a été un de nos premiers partenaires et nous avons connu l’association grâce au réseau et à l’appel à projet DECLIK (2012 – 2015). Le projet avait pour mission de DÉvelopper et Conforter Les Initiatives des défenseurs des droits de l’Homme et des organisations de la société civile dans les Kivu.

Dans le cadre de ce projet, nous avons agi auprès des femmes et particulièrement des mères célibataires et de leurs filles : souvent, les femmes violées et les enfants issus de ces viols sont mis de côté par leurs communautés. Nous les avons informées sur leurs droits, accompagnées et aidées à se réinsérer dans la vie professionnelle, puis nous avons mené des campagnes de sensibilisation à la question des violences sexuelles. Nous avons également mené un projet de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants sur les sites miniers. Grâce aux résultats d’enquêtes menées sur les sites de Rubaya et Kitchanga, nous avons pu construire des plaidoyers.

Aujourd’hui, grâce à l’aide du projet DEFI (DÉvelopper et Favoriser les Initiatives des organisations de défense des droits de l’Homme en Afrique centrale), nous avons gagné en ressources humaines, en connaissances et en crédibilité. Notre enquête sur les sites miniers a aussi pu être menée plus largement.

 

AEDH : Comment être à la fois femme et défenseure des droits humains ?

La position de femme – et encore plus celle de défenseure dans un contexte instable en RDC nous plonge dans l’insécurité. Nous recevons constamment des intimidations. Ainsi, nous avons été formées par Protection International pour mieux saisir le contexte conflictuel et faire preuve de prudence.

Les femmes subissent souvent des violences et pourtant, elles ont un regard plus particulier sur les questions des droits humains et notamment en matière de violences sexuelles : le sujet les concerne directement et elles

peuvent donc mieux comprendre, cibler les besoins spécifiques des victimes.

 

AEDH : Pourriez-vous définir le rôle d’une défenseure des droits humains aujourd’hui en RDC ?

Etant donné le contexte en RDC, les violations des droits humains se perpétuent. Ainsi, le rôle d’une défenseure des droits humains est primordial.

Je suis née dans un contexte de conflit qui nous a donné un faible accès à l’éducation. Les discriminations liées au genre étaient également fortes et la violence banalisée. En conséquence, les femmes se sous-estiment alors qu’elles peuvent contribuer au développement du pays. Il faut mettre en avant le leadership féminin !

Quelques avancées ou petits changements ont eu lieu depuis que

je suis activiste. Par exemple, les femmes travaillent de plus en plus et osent prendre part à la vie économique locale. Mais les coutumes en RDC bloquent souvent les droits humains.

AEDH : Quelle est votre vision de la RDC pour l’avenir ?

J’aimerais que chacun jouisse pleinement de ses droits en tant que personne humaine. J’aimerais aussi que le partage des ressources soit plus efficace car la RDC est riche sur le plan des ressources mais de fortes inégalités sont présentes. Enfin, j’aimerais que la corruption disparaisse et que la mauvaise gouvernance cesse.

 

AEDH : Quel sera alors le rôle des hommes ?

Le rôle des hommes est – et sera  de s’impliquer dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Ils doivent accompagner ces femmes et se sentir concernés par cette situation. Il faut bousculer le modèle d’une société patriarcale car les hommes et les femmes peuvent tous deux contribuer au développement du pays. En mettant de côté les femmes, le pays perd de l’argent et des ressources.

 

Louise Negrell