Plateforme
Droits de l’Homme

Parole d’acteur : Bahati Rubango

avril 2023

À l’heure où les discussions en République Démocratique du Congo (RDC) sont en cours devant le Sénat sur la proposition de loi relative à la protection et à la responsabilité du défenseur des droits de l’Homme, il apparaît crucial de revenir sur le combat d’un de ses défenseurs des droits humains (DDH) : Bahati RUBANGO. 

Fervent militant de la première heure, c’est très jeune que Bahati RUBANGO commence à représenter et à défendre les intérêts d’autrui au sein de son école secondaire. Il devient à l’époque doyen des élèves à l’institut Bugarula, une école située en territoire d’Idjwi, dans la province du Sud-Kivu, et collabore avec le parlement des enfants du territoire insulaire.

En 2011, alors que les élections présidentielles doivent se tenir à l’automne, des tensions se font ressentir entre la population locale et les autorités publiques. Joseph KABILA, le président à la tête du pays depuis 2001, ayant succédé à son père, annonce sa candidature. Le 15 janvier, le chef d’Etat procède à une révision constitutionnelle pour que le scrutin se déroule en un tour au lieu de deux. L’opposition dénonce une manigance favorable à sa réélection. Bahati RUBANGO n’est pas encore en âge de voter à cette époque, et pourtant, il va appeler la jeunesse et les étudiants congolais à se mobiliser contre ces élections entachées d’irrégularités. Les contestations dénoncent notamment les manoeuvres de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), dirigée à l’époque par un proche de Joseph KABILA, qui aurait publié de fausses adresses de bureaux de votes, et aurait omis l’inscription de citoyens sur les listes électorales, empêchant une partie des électeurs de participer au vote et favorisant les possibilités de fraudes. Le président sortant est finalement réélu et les tentatives de contestation sont très violemment réprimées par les autorités. 

En 2013, Bahati RUBANGO entame ses études supérieures à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu (ISP-Bukavu) et devient délégué de sa promotion toujours avec l’objectif de défendre les droits de ses camarades. En 2016, il est désigné porte-parole des étudiants par des élections organisées dans l’établissement. 

Il va principalement s’attacher à dénoncer la violation des droits des étudiants, par les autorités académiques, notamment la note circulaire 0-22 interdisant la revue à la hausse des frais académiques dans les établissements publics de la RDC : en contradiction avec ce texte édité par le Ministère national de l’enseignement supérieur et universitaire, les étudiants étaient contraints de payer 60$ de frais académiques supplémentaires. Au cours de cette période, un système d’intimidation avait été établi au point que personne n’osait refuser le paiement des frais, rendus obligatoires, au risque d’être interdits d’étudier. Il  n’était pas aisé d’exiger l’application stricte des textes et des mesures réglementaires dans une institution académique dirigée par un dignitaire de la coalition au pouvoir. En parallèle de ces événements, le débat sur le troisième mandat de l’ancien président Joseph KABILA  monopolisait  la scène nationale et internationale.

Pour avoir appelé les étudiants à manifester pacifiquement, le défenseur est arrêté, le 7 décembre 2017, et passé à tabac. Il reçoit pour la première fois une assistance de la part d’Agir ensemble pour les droits humains (Agir Ensemble) afin de le mettre à l’abri des menaces dont il fait l’objet. Une action en justice est intentée à son égard, les autorités reprochent au militant d’avoir utilisé des mineurs dans la manifestation pacifique. 

Cette période est marquée par l’interdiction de toute contestation et les coupures internet visant à réduire la société civile au silence. Contre toute attente, Bahati RUBANGO est traité aux côtés de ses camarades comme un opposant politique et affilié à des mouvements tels que la Lucha (Lutte pour le changement) et FILIMBI, lesquels étaient perçus comme des véritables ennemis de la coalition du pouvoir. Le DDH fait ainsi l’objet de menaces d’arrestation, d’intimidations et de stigmatisation. Ses camarades sont envoyés à la prison centrale de Bukavu rien que pour avoir exigé pacifiquement le respect du texte. Bahati RUBANGO connaît de terribles problèmes de santé suite à cet épisode au point que sa mort est annoncée sur les réseaux sociaux, alors qu’il était hospitalisé: il garde encore de nombreuses séquelles qui continuent aujourd’hui à lui causer de terribles soucis de santé.

L’activiste acquiert une certaine notoriété parmi les DDH. Les associations de la société civile s’intéressent à son action et lui proposent des formations sur les actions non-violentes et démocratiques. Il va ensuite commencer à travailler pour la CENI pour expliquer aux citoyens le fonctionnement des bureaux de vote puis, le 6 mars 2019, il intègre l’association SOS Information Juridique Multisectorielle (SOS IJM), en tant qu’officier sur la protection des droits humains. L’association a été créée en 2007 dans la sphère universitaire de Bukavu, dans l’objectif de contribuer à la promotion des droits humains et libertés fondamentales, ainsi qu’à leur mise en œuvre effective. L’organisation est un partenaire actif de Agir ensemble.

Au sein de SOS IJM, Bahati RUBANGO travaille sur les réformes, la sécurité et la justice et s’intéresse en particulier aux conditions carcérales dans la province du Sud-Kivu. Il se rend dans les centres de détention, prétextant mener des missions d’apostolat, mais constate et alerte en réalité sur les conditions d’incarcérations déplorables dans les maisons pénitentiaires.

En 2020, la pandémie de Covid-19 n’a pas épargné la RDC. Sous couvert de vouloir limiter la propagation du virus, les autorités mettent en place des mesures restrictives qui ont pour principale conséquence de museler les DDH et de violer leurs droits. Durant cette période, Bahati RUBANGO réalise un important travail de monitoring des violations commises, et se rend dans les médias pour les dénoncer publiquement. Les autorités lui reprochent son action.

À partir de 2021, il devient beaucoup plus compliqué pour les autorités de s’en prendre au défenseur devenu très influent en multipliant les déclarations et les actions de plaidoyer auprès des mécanismes régionaux de protection des droits humains. Le plaidoyer réalisé par le militant entend dénoncer les détournements, par le gouvernement provincial, des fonds alloués aux sinistrés du Sud-Kivu, ainsi que la spoliation des maisons en toute impunité par les autorités provinciales. Bahati RUBANGO utilise les réseaux sociaux et les médias locaux pour maintenir une certaine pression et exiger le respect de la bonne gouvernance. 

Sa persévérance et ses relations avec les instances régionales inquiètent les services du gouvernement provincial qui recrutent des hommes de main pour s’en prendre à lui. Son domicile est cambriolé à plusieurs reprises, une grande partie de ses biens disparaissent. Un soir, alors que Bahati RUBANGO ne rentrait déjà plus la nuit chez lui par crainte pour sa sécurité, des individus l’attendent, mais le confondent avec son jeune frère qui est suivi et battu à mort. Le défenseur était quant à lui réfugié chez des amis ou dans des hôtels. Il percevra une nouvelle assistance d’Agir ensemble pour prendre en charge les soins de santé de son frère. Dans ce contexte, SOS IJM l’affecte finalement à Kinshasa

En reconnaissance de ses actions en faveur des droits humains, Bahati RUBANGO a été récompensé en 2016 par le “prix patriote pour les jeunes” du parlement des jeunes du Sud-Kivu, attribué aux jeunes se démarquant dans la défense des droits humains

Aujourd’hui encore, la situation n’est pas apaisée en RDC, les autorités peuvent faire semblant devant les organisations de la société civile et les mécanismes internationaux de protection, mais elles ne sont en réalité toujours pas favorables au travail des DDH. Bahati RUBANGO ne se dit pas en insécurité, puisqu’il continue de sortir dans la rue et d’intervenir sur les réseaux sociaux et dans les radios, mais il a pour autant conscience de ne pas être le bienvenu de partout. C’est le cas à Goma pour avoir dénoncé les détournements de fonds de la part du gouvernement provincial, au Sud-Kivu et au Rwanda, pour avoir mentionné certains officiers nationaux, auteurs de graves violations du droit international humanitaire, dans un rapport de mapping et la nécessité de créer un Tribunal Pénal International pour le Congo. Il plaide pour la fin de l’impunité qui doit passer par la mise en œuvre effective des mécanismes de justice transitionnelle afin que les bourreaux soient jugés, les victimes accèdent à la vérité et aux réparations adéquates et que les réformes institutionnelles soient finalement engagées, seuls préalables pour le retour de la paix et de la sécurité en RDC.  

Le travail mené par Bahati RUBANGO et l’ensemble des DDH de RDC est crucial au regard de l’actualité de l’année 2023: les prochaines élections présidentielles de la RDC prévues en décembre risquent d’être le théâtre de nouvelles violations, de raviver les tensions dans le pays et les tentatives de fraudes de la part des autorités, la loi portant protection des DDH et encore en cours d’examen par le Sénat et le pays est toujours gangrené par la corruption, les détournements de fonds et le favoritisme au profit de certaines “élites”. L’heure est au changement et au développement individuel, institutionnel et collectif grâce à une lutte sans relâche pour le respect des droits humain d’abord en RDC, en Afrique, et dans le monde.  

Le nouveau rapport “Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH” est toujours disponible, en cliquant ici.